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04 March 2016

CLAUDIO ET ALBERTINO - UNE CHOUETTE AMITIÉ

VIE AFRICAINE par Birte Jantzen


 

Jardin de Yoki-Elolou
 
J’ai quitté l’ancien Zaïre en 1998, sur fond de révolution en laissant tout derrière moi. De mes plantations de café probablement plus rien ne subsiste, mais dans mes souvenirs cette terre reste vivante et continue à me raconter ses histoires.
 
Mes deux plantations, Yoki Elolou et Lomami, étaient situées au cœur du pays, proche de l’équateur, à 1600 km de fleuves de la capitale. S’étendant sur environ 15 km2, loin de la civilisation et accessibles uniquement par bateau, la nature y foisonnait d'animaux. Les familles habitant ce territoire vivaient de chasse, pêche et petite agriculture, tirant de la forêt tout ce dont ils avaient besoin. 
 
À cette époque, la forêt zaïroise hébergeait une faune très diverse et dans la culture locale les rapaces nocturnes jouissaient d’un statut particulier, considérés comme compagnons des hommes médecins et des sorciers.
 
Un jour de l’année 1985, notre équipe de scieurs de long était partie en forêt couper un arbre pour les besoins en bois, un travail très physique requérant une grande finesse et précision. Il leur arrivait parfois de retrouver dans l’arbre abattu des nids d’oiseaux. Les bêtes malheureuses étaient généralement capturées, souvent pour finir dans la casserole. Mais ce jour-là était différent.
 
 
 
Scieurs de long près de Yoki-Elolou
 
À leur retour, ils me déposèrent une petite boule de plumes abasourdie d'a peine 12cm de haut, blanche et légère comme un flocon de neige. Connaissant mon amour pour les animaux, dont j’avais déjà soigné un bon nombre par le passé, ils avaient décidé de me confier l’oiseau, probablement trop petit pour être un candidat sérieux pour un repas. C’était une chouette minuscule, et son bec crochu me rappela le visage d'un cher ami. Je l'ai donc nommé Albertino. 
 
N'ayant jamais eu l'indélicatesse de regarder sous sa robe de plumes pour savoir si c'était un garçon ou une fille, Albertino a dû accepter son nom. Dès le départ il faisait preuve d'une grande confiance en moi : même pas besoin de l'apprivoiser, il m'a adopté instantanément. C'était le début d'une très longue et étonnante amitié. Il me suivait partout et dormait à la maison. Mais jouissant d'une totale liberté, il pouvait rentrer et sortir comme il voulait. 
 
Quand il était petit, il était particulièrement drôle à observer. Au début, avec son plumage d’oisillon, incapable de voler, il se déplaçait à pied. Assis, il ressemblait à un minuscule obus blanc. Mais dès qu'il se levait deux pattes jaunes étonnamment longues sortaient de son duvet, et comme téléguidé il avançait pour se poser quelques pas plus loin, reprenant une apparence immobile.
 
 
Albertino dans la maison de Yoki-Elolou
 

J'aimais l'observer, fasciné par sa nature tranquille. Le nourrissant avec de petites proies il grandissait rapidement.

 
J'aimais l'observer, fasciné par sa nature tranquille. Le nourrissant avec de petites proies il grandissait rapidement. Il m’accompagnait partout et s’adapta vite à la courte ficelle que j’attachais à une de ses pattes lors de nos déplacements en pirogue, afin qu’il ne tombe pas dans l’eau. Cette ficelle avait l'air de lui plaire, je crois même qu’il en tirait un certain orgueil. Parfois il regardait sa patte, puis comme si de rien n'était reprenait fièrement son air impassible sous lequel pourtant rien ne lui échappait. 
 
En grandissant, il commençait à nous faire de vrais caprices d'adolescent, fugues comprises. D'abord il disparaissait quelques jours, puis revenait en se posant sur mon épaule, frottant sa tête contre ma joue comme on salue un ami au retour d’un voyage.
 
Plus tard, il faisait des fugues plus longues, parfois jusqu'à plusieurs mois, mais il finissait toujours par revenir et reprendre ses habitudes casanières. Il partageait alors sa vie entre ses deux maisons, la forêt et chez moi.
 
 
Maison de Lomami, Albertino en communication directe avec Kinshasa
 
 
Je le soupçonne d'avoir fondé une famille, mais les présentations n'ayant jamais été faites, je ne pourrais l'affirmer avec certitude. Ceci dit, j'ai pu observer à plusieurs reprises qu’il revenait accompagné d’une autre chouette, qui restait cependant toujours à distance de la maison, sans s'approcher davantage. Elle observait Albertino entrer et sortir de chez moi. Ces habitudes ont du lui paraître étrange à plus d'un égard. 
 
Une fois grandi, Albertino n’avait plus besoin de moi pour se nourrir. Son amitié désintéressée était alors pour moi un grand bonheur. Avec lui j’ai vécu des moments inoubliables, comme cette histoire avec Maurizio. Mais celle-là, je vous la raconterais la prochaine fois.
 
 

 
Birte Jantzen est une journaliste et experte en vin basée à Paris, grande voyageuse et amatrice de chocolat depuis sa plus tendre enfance. Elle est venue nous voir à Sao Tomé, et lors de son séjour nous avons non seulement distillé ensemble, mais aussi partagé mes histoires du Zaïre le soir en dînant autour du feu.
 
 

 

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